Je profitais d’une balade en poussette avec le petit pour flâner un peu dans les rues du village. La tête dans les nuages, mes yeux se posèrent sur un jardin potager bien ordonné. Vous savez, à l’image de ces cartes postales Suisses qui montrent de jolis chalets pittoresques. On aurait bien envie d’y vivre, et puis finalement on se rappellerait combien de temps passent leurs propriétaires à nettoyer et à courir après les petites choses sales un peu partout sur la pelouse et devant la porte, pour finalement s’en écarter poliment et laisser ce luxe aux vilipendeurs de temps.
Donc, au milieu des plates-bandes bien délimitées au motoculteur, entre des rangs de poireaux dressés au cordeau et au pied de quelques plants de tomates au garde-à-vous, poussaient trois jolis petits pourpiers étalés en flaques grassouillettes. Voici trois contestataires, me dis-je, semés d’infortune dont le vent avait malicieusement placé leur destinée au beau milieu d’une allée.
Carnage…
Je rêvait de poésie anarchiste et contemplait mes trois dissidents du bosquet quand tout à coup une faux s’abattit brutalement sur les indociles plantules, arrachant leur corps menus dans un fracas de terre écartelée. Au bout de cette houe de la mort, côté manche, s’agrippait une dame d’un certain âge dont le faciès épuisé et amer m’inspirait une envie de fuite immédiate. Sans procès, après quelques explosions de terre, pliée en deux au dessus du carnage, elle ramassa les pourpiers et les balança sur un tas de compost avec le geste digne d’un lanceur de disque greco-romain . Je vis les plantes tournoyer en l’air, désarticulés comme des étoiles de mer dans un typhon, pour atterrir mollement sur des résidus de tonte.
L’histoire était finie, le potager avait retrouvé son calme et les allées étaient à nouveau libres de tout importuns. Dans ce jardin, il ne manquait plus qu’un panneau lumineux arborant un slogan du genre: « saloperies de mauvaises herbes, go home! » .
Un héros
Arrivé à la maison, je me précipitais vers mon petit pot qui avait autrefois hébergé deux grosses laitues. Maintenant il accueillait l’unique jeune pousse spontanée de pourpier de tout mon potager. Il était toujours là évidemment, poussant gentiment, prometteur d’une conquête légendaire et silencieuse pour mon plus grand bonheur. Celui-là allait grandir et s’épanouir jusqu’à ce que ses petits soient utilisés à leur juste valeur, comme bombes nutritives et gustatives pour mon plus grand bonheur. Minéraux, omégas-3 et bien d’autres richesses alimentaires, le pourpier à tout pour plaire!
Moralité: le pourpier fond dans la bouche, pas sous les pieds…