
Entre deux dalles, il s’installe sans vergogne
Tout scintille sur les plates-bandes. Après deux heures de binette la semaine dernière, la terre marron embaume les épices, les légumes pointent leurs nez hors de leur berceau minéral et… attendez une minute… bon sang, le revoilà! Sacré chiendent, à peine arraché, rasé, tondu, brûlé, traité, il remet le couvert comme si de rien était. Coriace notre ami, n’est-ce pas?
Rebelle…
Même sous un épais manteau de paillage, il s’amuse à percer la couche. Il pointe ses tiges vulgaires pour nous rappeler que le véritable maître de la place, c’est lui. Pas de doute, c’est un pro du survivalisme. Les rudes explorateurs lâchés au milieu des plaines arides de Sibérie pour vivre à la dure (et qui se nourrissent de petites cochonneries sylvestres) font l’effet de bimbos de plage en comparaison du chiendent. On dit même qu’il aurait pu figurer dans de grands films d’action, si Chuck Norris ne lui avait pas volé la vedette, mais oui, rien que ça! Il gagne quand-même la palme d’or des super-terreurs du potager, chaque année.
Une guerre vaine…
Comme dans les films, il faut toujours tirer deux fois sur le méchant (ce que vraisemblablement les héros de série Z n’ont toujours pas compris malgré la quantité de navets produits). Le chiendent c’est pareil. Brulé, il revient en force. Tondu, il s’étoffe de plus belle. Déchiqueté, il se multiplie en masse. Mais bon sang, à quoi sert-il?
On ne chasse pas le chiendent, on le maîtrise par de subtiles stratagèmes plus ou moins fastidieux. L’arrachage manuel après une légère aération du sol pour ne pas couper les rhizomes, et la plantation permanente de cultures ainsi que d’engrais verts font une bonne concurrence à cette herbe récalcitrante. Le soucis et l’oeillet d’Inde ont la faculté de repousser les rhizomes à têtes chercheuses de ce cuirassé des terres. En dernier recours, lors d’invasion massive et de douleurs lombaires, une bâche opaque appliquée sur la planche de culture, durant six mois, permet de remettre le compteur à zéro.
Tout de même utile
Et bien mes chers, comme toute oeuvre de la nature, le chiendent à son utilité. Fourrage délicat et apprécié des ovins, il est aussi recherché par les chien et les chats à titre de purge intestinale. Pour les humains, les rhizomes honnis ont été consommés en farine d’appoint dans le pain, les jours de disette. Les jeunes pousses se mangent. Ses vertus médicinales, toujours au niveau des rhizomes, en font un excellent diurétique et un bon traitement d’appoint des affections rénales. Au temps des pirates tricornés, il comptait officiellement parmi les remèdes embarqués des infirmeries maritimes.
Mais alors…
Pourquoi ne pas prélever le chiendent, et utiliser ses racines séchées au même titre qu’une simple? Fastidieux vous dites? Et quid des amortis du bocal qui passent des heures à décortiquer le cratte-cul pour en faire de la confiture? Je dis moi que c’est pareil. Ainsi, notre point de vue changerait et nos reins en seraient reconnaissants. Nous n’irions plus massacrer le chiendent, mais partirions à la récolte bucolique d’une herbe aux nobles vertus, sous le regard ébahi de nos chiens et chats purgés.
J’annonce donc au Gengis Kahn des plates-bandes que mon potager est prêt à accueillir une petite délégation des près, sous bonne surveillance.

Utile mais difficilement maîtrisable