Vivre, les 3 étapes d’une démarche en permaculture

Bonjour chers lecteurs, êtes-vous surpris de voir ce blog à nouveau garni d’un article ? Tant mieux, la saison s’y prête malgré le froid qui sévit sur les parcelles permacoles européennes.

De quoi vais-je vous parler aujourd’hui ? Et bien, d’un petit rappel sur ma vision de la permaculture. Une vision qui ne se limite pas au jardinage de buttes, ni aux bienfaits des écosystèmes du potager et qui se rattache aux textes fondateurs du mouvement.

La permaculture est une philosophie qui va au-delà du jardin, malgré ce que l’on peut voir sur la toile de nos jours.  Elle résume une pensée dans laquelle la nature est centrale et place l’humain comme faisant partie d’un tout , dépendant d’écosystèmes complexes qui s’autorégulent parfaitement sans lui. L’enjeu est alors pour l’homme de trouver une place dans chaque écosystème qu’il souhaite habiter, en le perturbant le moins possible, tout en sachant que chaque actions va irrémédiablement générer un changement. Le but ultime est alors d’utiliser un système qui fonctionne déjà en autonomie, en dénaturant le moins possible l’existant.

Les 3 étapes d’une démarche en permaculture :

La nature va au plus simple malgré son extrême complexité, à nous d’en prendre exemple lorsque nous mettons en place les principes de la permaculture. J’aime résumer cette démarche en trois étapes :

Observer

Une des premières actions en permaculture est l’observation de ce qui nous entoure pour déceler et comprendre les mécanismes en place. Cette observation minutieuse est indispensable. Elle dure entre une à deux années minimum afin de comprendre réellement ce qui se passe sur le terrain. Au besoin, des petite modifications sont faites pour pouvoir y vivre de manière autonome, voir pour faire partie de cet écosystème, mais cela principalement dans un second temps.

Agir

L’action qui va être menée après notre observation tient compte de ce qui fonctionne et des ressources décelées sur place. Nous allons utiliser le maximum ce qui est à portée et ce qui fonctionne, dans un minimum d’efforts, pour opérer quelques micro changements dans le but de corriger ce qui pourrait être amélioré. Rappelons-nous que chaque organisme présent à sa raison d’être et est interdépendant des autres qui l’entourent.

Observer et ne pas se décourager

L’épreuve redoutée dans cette démarche est de constater souvent que nos actions sur le terrain ne réagissent pas comme nous l’avons souhaité, parfois pour le meilleur, parfois pour le pire. Certains éléments de notre écosystème s’approprient parfois les changements et changent la donne sur tout le terrain. A ce stade il faut faire preuve de recul, garder ce qui fonctionne et comprendre pourquoi certaines choses n’ont pas pris comme nous l’espérions, avec humilité.

Petit à petit, en alternant la deuxième et la troisième phase, un nouvel équilibre s’installe dans lequel nous pouvons tirer des ressources tout en apportant notre contribution à cet écosystème.

Vous comprendrez alors que ce principe s’étend au-delà de la butte que l’on s’est acharné à réaliser dans le jardin (qui va à l’encontre d’une démarche permacole), et qu’il englobe toute action humaine, en prenant en compte son environnement, dans une optique de durabilité.

Amusez-vous à transposer ce principe dans votre famille, vos loisirs, et même dans votre travail. Travaillant depuis plus de 10 ans dans la santé au travail et le coaching, je peux dire que les dirigeants qui ont laissé le plus de traces positives de leur passage dans une entreprise sont ceux qui inconsciemment ou pas ont appliqué ce principe.

Que cela soit de cultiver son bout de terrain, de démarrer un projet ou de s’épanouir au travail, une action teintée de permaculture va être génératrice de sens car elle cherchera à placer l’humain de manière utile et durable dans son monde.

Cette doctrine écologique passe naturellement par l’esprit, c’est ce que je me plait à appeler « l’écologie humaine ». Elle englobe la relation de l’homme avec la nature, mais aussi la relation des individus entre eux, invitant sur fond de sobriété à repenser notre « vivre ensemble »  pour le meilleur, face aux changements de demain.

J’écris aussi à ce sujet sur mon site professionnel, et organise des séminaires occasionnellement, pour que l’or du commun devienne hors du commun.

Bonne saison à tous!

La ronce, cavalerie des bois

Ronce

Une fois installée, il faudra bien se résoudre à utiliser ses mille vertus.

La brume se dissipe et dévoile l’orée d’une imposante forêt de chênes qui surplombe un grand pré. Eparpillés dans les graminées, des pommiers et des pruniers attendent avec frayeur l’assaut des bois.

Ce moment suspendu entre deux camps, chênes d’un côté et fruitiers de l’autre, semble durer des heures. Et puis tout à coup, la charge est lancée! D’imposantes lianes barbelée s’élancent entre les troncs pour jaillir de la forêt, telles des cavalier de terreur à l’assaut de l’herbe frémissante. Le sol crevé par d’innombrables grenades de mûres noires explose en vertes étincelles de lianes pointues. L’avalanche de ronces impitoyables et tortillantes dévale la pente à toute vitesse. Dans la prairie, les arbres domestiques sont submergés par cette marée feuillue gainée de méchantes piques. Impossible d’y résister. La forêt à son tour dévale le talus et pousse la ronce plus en avant vers les lignes ennemies qui fondent comme beurre au soleil. Les chênes lancent leurs fruits, aidés des frênes et des érables. Partout, de jeunes pousses se dressent prêtes à monter dans les airs pour dévorer quelques grains de lumière oubliés. Le pré se réduit comme peau de chagrin, tandis que la forêt gagne du terrain. Et puis plus rien. Du grand pré dégarni, il ne reste que quelques pommiers redevenus sauvages entre hêtres et aulnes à la mine sévère. La forêt à repris ses droits et la ronce poursuit au loin son oeuvre, sous les ordres de la sylve.

Patience…c’est un film d’auteur

Belle fresque guerrière n’est-ce pas? Venez, il reste quelques sièges au premier rang! En tant qu’humain, nous avons droit à la version longue de cette épopée fougueuse. Le mouvement à peine perceptibles des végétaux nous donne un sentiment d’immobilité et de calme, alors que sous nos yeux dupés se joue tout un drame. Autant dire que pour faire durer le pop-corn, nous devrons nous rationner. L’entracte est dans 15 ans. Alors, en attendant de voir bouger la ronce, je vous invite à un petit tour d’horizon sur le sujet.

Tête de pioche…

La ronce prépare le terrain pour l’arrivée des arbres. Envahissante et têtue, une fois installée, elle suivra son plan quoi qu’il arrive. Entre ses piques acérées, poussent de jeunes essences, amoureusement protégées des herbivores. Les biches et autres cervidés doivent se contenter de verdure déclassée, tandis que renards et sangliers en font un refuge de prestige contre tous dangers à deux pattes. Les petits oiseaux et autres rongeurs s’y installent, tous gâtés par l’opulente table de mûres et de chenilles juteuses offertes aux plus véloces gourmands. A qui ne craint pas les piques, la ronce sait se faire généreuse!

Sévère et nourricière

En divine pourvoyeuse des bosquets, elle nous offre ses jeunes pousses en confits, ses feuilles fermentées font un thé délicat, et bien entendu ses fruits se cuisinent en mille préparations goûteuses. Les nombreuses vertus médicinales et gustatives font de cette plante une bonne et robuste compagne de jardin. Les grosses tiges épineuses bien sèches feront d’excellents repousse-chats, une fois posées sur les planches de culture. Il faudra cependant cadrer la plante pour ne pas voir déborder ses tiges plus qu’il n’en faut. Ces longues et nombreuses lianes penchées se marcottent allègrement une fois qu’elles touchent le sol.

Mais que faire alors de toute cette verdure? Faisons donc, par exemple, de beaux paniers tressés avec tout le surplus annuel! Voilà une activité bien plus attrayante que les colliers de macaronis et autres bricolages en kit à tata!

A cette ronce piquante et maternelle, véritable Walkyrie des lisières sauvages, faisons une guerre nourricière. Les dards acérés contre la gelée sucrée, un deal équitable qu’on ne saurait refuser…

Ronce

Rebelle et nourricière

Le lierre grimpant, plus qu’un costume élégant

Lierre grimpant

Ni vampire, ni étrangleur, le lierre grimpant aime son support…

Le plus sage des sages vient de perdre son costume d’hiver. Dans les bois du petit vallon, le glas sonne au son des pies et des corneilles chamailleuses.  Le grand frêne centenaire, autrefois endimanché d’une sublime cape verte, pleure son habit défunt. Dès lors, il sait qu’il ne lui restera plus longtemps à vivre au pied de la ferme qu’il a vu construire. L’homme en pensant bien faire est venu couper son vieil ami le lierre qui se transformera, peu à peu, en instrument de mort.

Mauvais choix

Funeste début d’histoire n’est-il pas? C’est que le lierre à une réputation peu reluisante parmi les hommes. Parasite, envahissant, poison, et j’en passe… que de qualificatifs nés d’imaginaires quelques peu obtus. Avez-vous vu sur les chemins de campagne, ces arbres portant piteusement le cadavre enlacé de feu leur compagnon grimpant? Les voilà séchés sur place, victimes d’une section de liane arbitraire opérée par un serial killer bien connu, j’ai nommé: l’homme.

Procès verbal…

« On pensait bien faire, le lierre étouffait le tronc! » dit l’accusé à la barre du tribunal des sylvains. L’avocat de la défense se leva. C’était un vieil orme dégarni au tronc grisâtre. De sa voix bruissante il dit: « Ne saviez-vous pas que la victime vivait en coopération avec son arbre? En l’assassinant, vous avez possiblement condamné son hôte à une mort lente par transmission de germes ». L’accusé dut se rendre à l’évidence, ce n’était pas son jour. Son frêne centenaire, la fierté de sa ferme allait y passer. Le lierre occis, en pourrissant sur le tronc, allait drainer toute une série de germe et de parasites potentiellement dangereux pour son arbre. Il ne pourra bientôt plus y accrocher la balançoire de sa fille, ni jouir de son ombre par temps de flânerie dominicale.

Une richesse au service de tous

Séchez vos larmes, tout n’est pas perdu! Très résistant, le lierre s’adapte à tous types de supports et, vivant, il ne cause pas de dégâts comme on pourrait le croire. Enfin presque, il n’entame que les murs fragiles et les matériaux de mauvaise qualité… vous savez, ces briques et ces crépis bon marché utilisés un peu partout dans le bâtiment low cost… . Coupé, il repousse et se bouture aisément si le terrain lui plaît.

En s’invitant sur un tronc, il abrite toute une faune et une flore utile à l’arbre et au voisinage. Et comble de coopération, il fleurit à la fin de l’automne pour être sur de ne pas concurrencer son hôte. Les insectes, comme par exemple les abeilles, en sont plus que reconnaissantes. Imaginez ça, un restaurant 3 nectars gratuit en fin de saison! Et c’est pas fini, oh que non! Ses fruits certes toxiques mais gras régalent en plein hiver les oiseaux à l’estomac solide.

Un couteau suisse végétal…

Rangez vos fourches et vos gourdins, éteignez vos torches incendiaires! Il n’est point le Dracula de la canopée, ni l’étrangleur des bas quartiers. Le lierre est l’ami fidèle des sylves sauvages et l’isolant naturel des saines bâtisses.

En ami des hommes sages, il isole les façades du froid hivernal. Par son évaporation, il rafraîchit les pièces en été. Ses vertus médicinales sont encore utilisées de nos jours, notamment contre les toux bénignes et autres affections respiratoires. Comble de gratitude, ses feuilles nous offrent des saponines à foison, pour réaliser notre lessive maison, simple et efficace.

Alors, heureux?

Lierre grimpant

Utile et robuste, il est l’ami des maisons et l’habit toutes saisons

 

 

Le sol en une petite histoire

Sol_vivant

Entente discrète entre épinards et agarics

Il faudrait toute une vie pour réussir à comprendre un peu le sol. C’est pourquoi il est impératif de le soigner et de lui redonner de la vigueur. Comment? En lui foutant la paix, oui Madame! Notre plancher est tellement complexe que nous commençons à peine à entrevoir l’ampleur des dégâts occasionnés par l’homme. Les connaissances qu’il nous faudra acquérir pour pouvoir le comprendre dans son ensemble et le soigner sont faramineuses.

Le hibou lui s’en cogne totalement, en particulier le moyen-duc qui loge dans le toit chez Micheline et Didier. Mais oui, vous savez les voisins bizarres adeptes de la permaculture. Ceux qui sont arrivés au bout de trois ans à trouver un équilibre acceptable dans leur potager.  Les voilà qui s’empressent de photographier leurs trophées, et les partagent prestement sur les réseaux sociaux. Lui, assis sur son fauteuil favoris à compter les « likes » en buvant une tisane de menthe, et elle au bout du fil avec une amie à refaire le monde des laitues.

Mais revenons à notre volatile. La nuit est tombée depuis un moment et l’animal vient de se réveiller. L’oeil encore un peu glauque et l’aile lourde, il écoute les bruits nocturnes à l’affut d’une proie. Après un petit moment, le tintement familier de feuilles mortes chante à son oreille. Il s’agit d’un mulot bien gras et peu dégourdit qui trotte gaiement à en croire le froissement des feuilles. Le hibou affamé s’élance tel un espadon des airs et, dans un silence feutré, fond sur le rongeur à découvert.

Tout va très vite!

Le hibou saisi le mulot, le mulot mord la patte du hibou, le hibou déconcentré se prend la ligne du téléphone en pleine remontée, la ligne du téléphone vibre, Micheline n’entend pas ce que Bernadette lui dit au combiné durant un bref instant (ce qui va lui changer la vie, mais là on s’en fiche car on parle du hibou), et finalement, le hibou lâche le rongeur. Celui-ci s’écrase sur le sol après trois cabrioles, et meurt entre le hêtre et la planche de culture de Micheline et Didier.

Déjà fini?

Triste histoire pas vrai? Rassurez-vous elle commence à peine. Il fallait bien un petit drame pour attiser la curiosité du chaland et réunir la foule autour de la fabuleuse histoire du sol!

Notre ami le sol ne dort jamais, il digère en permanence. C’est un tube digestif à l’envers, une bouche toujours ouverte vers le ciel. Ses organes de décomposition très sophistiqués s’alternent en fonction des saisons, du jour et de la nuit, tels des respirations silencieuses au service de la vie. Le sol est vivant: 50% de vie (édaphon), 25% de matière minérale, 25% de vide et d’eau. Il est racines, champignons, insectes, bactéries, stylommatophores (limaces et escargots en tous genres), etc. et oeuvre pour une cause unique. Il transforme et fait vivre les êtres présents, dans une entreprise commune, à travers les vestiges des vies éteintes. Sans cette union du vivant au service de la transformation, pas de vie du tout. A quelque part, nous sommes le produit du sol… et nous y retournerons.

Et le mulot dans tout ça?

La carcasse de mulot, donc, vient à peine de tomber sur un lit de feuilles mortes, et gis inerte. Les milliards de bactéries et les virus logés sur l’animal et dans son tube digestif commencent à proliférer dans les tissus, affranchis des défenses immunitaires du rongeur. Les gaz de digestion des micro-organismes en pleine action alertent la petite faune, tels les néons d’une enseigne aguicheuse. Toute une armée de fourmis, de scarabées et de mites se pointent au buffet, trainant avec elles des spores de champignons et autres manges-miettes qui s’installent où ils peuvent en attendant leur moment de gloire. Le jour se lève et des mouches viennent précipitamment déposer leurs oeufs sur cette bombance, après avoir butiné quelques berces. Rapidement, de petites larves blanches apparaissent et nettoient proprement la carcasse, évitant ainsi que des bactéries pathogènes ne prolifèrent. En quelques jours, il ne reste qu’une dizaine d’ossements minuscules éparpillés par les petits éboueurs du jardin. Ces insectes ont élus domicile dans le sol, entre les feuilles mortes et au creux de quelques brindilles hospitalières. Il aiment le jardin de Micheline et Didier car ils ne mettent jamais d’insecticides, ni de pesticides et de plus, comble de joie, la terre n’est jamais retournée.

La mafia du sol

Les petits os de feu notre mulot ne sont pas perdus. Ils sont colonisés par la caste redoutée des champignons qui s’empressent de décomposer et d’absorber la matière précieuse (phosphore, calcium, métaux, etc.). D’un mycélium à l’autre, le butin s’échange, se troque. Les éléments parviennent finalement aux racines des plantes via les champignons, directement. Là, s’opère un troc élaboré: de la sève végétale riche en sucres et autres friandises, contre des minéraux précieux raffinés par le peuple mycélien. Le hêtre devient dealer et vend son suc au prix du phosphore, autrement dit, une affaire juteuse. Cette poignée de main entre plantes et champignon s’appelle mycorhize, sorte de pont d’échange entre espèces. Après avoir été cantine des champs, voici que notre mulot fourni les plantes sur plusieurs centaines de mètres carrés, grâces aux diligents champignons, pourvoyeurs de l’extrême.

mycélium

Il est partout, et ici schématisé très simplement

Second tour et ronde des plats!

De petits collemboles viennent en même temps déguster le mycélium onctueux. A leur tour, de plus gros insectes, comme les mille-pattes viennent manger les collemboles qui tentent de bondit pour fuir leurs prédateurs grâce à leur petite furca (ressort sous l’abdomen), etc. Tous ces petits insectes qui se mangent parmi  sont aussitôt recyclés et restitués au sol sous forme d’éléments assimilables, comme l’azote par exemple. Les vers de terres, en ouvriers silencieux, absorbent les matières en décompositions et aèrent le sol tout en faisant remonter les minéraux à la surface. Comme quoi, les déchets des uns deviennent le trésor des autres. L’humus se brasse comme des milliers de pièces d’or et de joyaux entre les mains de pirates repus.

Les plantes s’en régalent, il y en a pour tout le monde. A leur tour, les tiges perdent des feuilles ou alors le végétal entier meurt une fois ses fruits mangés et ses graines dispersées. Les limaces et les escargots viennent déguster ces feuilles mourantes ou malades et les transforment en de petites boulettes nutritives qu’ils répandent sur place. De l’or Madame, c’est de l’Or tout ça!

Micro-faune

Quelques acteurs indispensables à la vie du sol parmi bien d’autres

…et un jour, un autre petit mulot bien gras vient manger en pleine nuit une limace qui était sortie de sa cachette pour dévorer une pousse de radis sauvage, sans se douter de la menace qui plane sur lui. La boucle est bouclée. Espérons cette fois que le hibou aura plus de chance avec les rongeurs et que Micheline pourra avoir une communication sans interruption.

En conclusion

Cette petite histoire illustre humblement une des mille facettes de la prodigieuse capacité du sol à transformer la matière morte pour la restituer à la vie. Toute intervention humaine (labour, bêche, etc.) va généralement briser cette mécanique bien rodée. Le jardinier qui désire cultiver sur un sol vivant va chercher à altérer le moins possible ce mécanisme de digestion ultra complexe. Il pourra ainsi tirer un maximum de bénéfices, grâce à tous les auxiliaires en place qui vont travailler pour lui (champignons, insectes, etc.) et produire chaque année plus de matière vivante pour un cycle positif et générateur de vie.

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La mousse, cette alliée indispensable

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Velours permanent et élégant

Sortie des bois sombres, à l’affut d’une perle de rosée et de quelques particules en suspension dans l’atmosphère, une petite spore virevolte dans l’air matinal et se pose sur un tapis de feuilles mortes. Quelques mois plus tard, le sol autrefois brun mêlé de touffes d’herbe jaunies s’est couvert d’un incroyable tapis de velours émeraude. Ici et là, quelques plantes percent joyeusement la moquette, telles des chandeliers verdoyants posés sur la table d’un bon seigneur. Voici la magie de la mousse, incroyable couturière des troncs lisses et costumière des pelouses ombrageuses.

Quel massacre…

Or, on la craint, pire on l’arrache du sol au moyen d’outils de torture aux noms barbares, tels l’horrible scarificateur ou le terrible couteau émousseur. Au diable les bourreaux des près et leurs techniques infâmes! Laissez donc vivre la mousse verdoyante qui pourtant aime et protège votre sol! Elle prépare amoureusement la terre pour recevoir les futures plantations spontanées ou volontaires, veillant à ce qu’il reste bien humide et gorgé de micro-organismes. La nuit, elle s’offre en festin aux papillons qui à leur tour attirent d’autres auxiliaires utiles à tout un écosystème. Elle est le sanctuaire des sans-abris et le banc de gare pour les oubliés de la pédofaune.

Injustice!

Là où pousse les bryophytes, l’air et le sol sont d’une rare qualité. Les mousses n’attaquent pas le support sur lequel elles sont installées. Elles ne penseraient jamais à mordre la main qui les accueille tout-de-même. Vous n’en verrez pas dans vos planches de cultures, mais sur les troncs et les branches qui les bordent, telles des filtres à particules aux vertus humidifiantes.

Tout un monde…

Prenez une loupe, ou mieux allongez-vous à plat-ventre pour observer la diversité des mousses. Plus de mille quatre cent espèces en Europe centrale forment une minuscule jungle dans la forêt  et se languissent de votre attentions. Minis arbres, micro-fougères et autres cactus extraterrestres seront au rendez-vous pour vous émerveiller dans un mouchoir de poche. Peut-être même que vous aurez la chance de croiser un myriapode à la poursuite de collemboles sauteurs, ou alors la tête luisante d’une girolle entre deux feuilles, qui sait.

La mousse, onctueuse à au regard, saura se glisser dans le jardin en discrète compagne des pieds nus. Et lorsque nous dormirons, entre deux songes, elle filtrera l’air de nos légumes et absorbera le mucus des limaces en douce ouvrière des litières.

Mousse verte, la porte de mon jardin restera toujours ouverte!

Mousse

La mousse fait partie de tout un écosystème

 

Le trèfle blanc, petit et élégant

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Discret et nourricier pour les butineurs

La grande faux mécanique vient de passer dans le verger. Il ne reste qu’une délicate odeur de prairie fraîchement rasée de près. En s’y attardant un peu, entre deux andins d’herbe, on distingue quelques têtes blanches réunies en foule silencieuse. Ce sont les candides trèfles blancs, petits pompons guillerets butinés en masse par la caste bourdonnante des hymènoptères. Leurs feuilles délicates et trilobées n’ont pas été coupées. Cette petite plantule a compris l’astuce en se faisant toute petite si nécessaire, pour passer sous les crocs des fraiseuses et autres rotors bruyants du samedi matin. Il rampe ce coquin blanc, pour s’étendre et faire la nique aux grandes reines des près et autres oseilles sauvages des quartiers verts.

Un timide au grand coeur…

Le trèfle s’égare parfois sur le potager, entre deux radis et une amarante blette, mais il ne vas jamais très loin. Notre aimable trèfle préfère se fondre dans les grandes étendues d’herbes car on le sait un peu timide. C’est que la foule herbeuse l’apprécie bien. Tel un robin des bois, en plein jour, il vole l’azote à l’air pour le redonner à la terre… . Nos légumes en auraient bien besoin aussi, c’est pourquoi il est semé en engrais vert sur les plates-bandes des jardiniers en mal de sensations naturelles.

Pas filou du tout

Tout comme son cousin le trèfle des près violet, notre galant à frimousse de coton fait le bonheur des amateurs de pâtures. Dans notre assiette, ses petites têtes fleuries sont un délice en salade. Les jeunes feuilles fraîches au goût de pois accompagnent parcimonieusement les crudités. Cuites, elles se fondent en velouté d’herbes folles pour le plaisir des amateurs simples et gourmands.

Pas de doute, c’est un charmeur tranquille au vertus utiles. Dans toutes les combines, et par tous les temps, il est présent tel un valet de pied à l’affut d’une aide portée à bon escient. Aimons-le, malgré son teint blafard et sa fougue toute rangée, il nous le rendra bien sous la dent.

À ce flocon rampant des belles saisons, j’offre une petite illustration.

Trèfle_blanc

Le trèfle blanc, un atout pour tout

Le chiendent, bâtard des champs

Chiendent

Entre deux dalles, il s’installe sans vergogne

Tout scintille sur les plates-bandes. Après deux heures de binette la semaine dernière, la terre marron embaume les épices, les légumes pointent leurs nez hors de leur berceau minéral et… attendez une minute… bon sang, le revoilà! Sacré chiendent, à peine arraché, rasé, tondu, brûlé, traité, il remet le couvert comme si de rien était. Coriace notre ami, n’est-ce pas?

Rebelle…

Même sous un épais manteau de paillage, il s’amuse à percer la couche. Il pointe ses tiges vulgaires pour nous rappeler que le véritable maître de la place, c’est lui. Pas de doute, c’est un pro du survivalisme. Les rudes explorateurs lâchés au milieu des plaines arides de Sibérie pour vivre à la dure (et qui se nourrissent de petites cochonneries sylvestres)  font l’effet de bimbos de plage en comparaison du chiendent. On dit même qu’il aurait pu figurer dans de grands films d’action, si Chuck Norris ne lui avait pas volé la vedette, mais oui, rien que ça! Il gagne quand-même la palme d’or des super-terreurs du potager, chaque année.

Une guerre vaine…

Comme dans les films, il faut toujours tirer deux fois sur le méchant (ce que vraisemblablement les héros de série Z n’ont toujours pas compris malgré la quantité de navets produits). Le chiendent c’est pareil. Brulé, il revient en force. Tondu, il s’étoffe de plus belle. Déchiqueté, il se multiplie en masse. Mais bon sang, à quoi sert-il?

On ne chasse pas le chiendent, on le maîtrise par de subtiles stratagèmes plus ou moins fastidieux. L’arrachage manuel après une légère aération du sol pour ne pas couper les rhizomes, et la plantation permanente de cultures ainsi que d’engrais verts font une bonne concurrence à cette herbe récalcitrante. Le soucis et l’oeillet d’Inde ont la faculté de repousser les rhizomes à têtes chercheuses de ce cuirassé des terres. En dernier recours, lors d’invasion massive et de douleurs lombaires, une bâche opaque appliquée sur la planche de culture, durant six mois, permet de remettre le compteur à zéro.

Tout de même utile

Et bien mes chers, comme toute oeuvre de la nature, le chiendent à son utilité. Fourrage délicat et apprécié des ovins, il est aussi recherché par les chien et les chats à titre de purge intestinale. Pour les humains, les rhizomes honnis ont été consommés en farine d’appoint dans le pain, les jours de disette. Les jeunes pousses se mangent. Ses vertus médicinales, toujours au niveau des rhizomes, en font un excellent diurétique et un bon traitement d’appoint des affections rénales. Au temps des pirates tricornés, il comptait officiellement parmi les remèdes embarqués des infirmeries maritimes.

Mais alors…

Pourquoi ne pas prélever le chiendent, et utiliser ses racines séchées au même titre qu’une simple? Fastidieux vous dites? Et quid des amortis du bocal qui passent des heures à décortiquer le cratte-cul pour en faire de la confiture? Je dis moi que c’est pareil. Ainsi, notre point de vue changerait et nos reins en seraient reconnaissants. Nous n’irions plus massacrer le chiendent, mais partirions à la récolte bucolique d’une herbe aux nobles vertus, sous le regard ébahi de nos chiens et chats purgés.

J’annonce donc au Gengis Kahn des plates-bandes que mon potager est prêt à accueillir une petite délégation des près, sous bonne surveillance.

Chiendent

Utile mais difficilement maîtrisable

 

 

 

 

 

Le plantain, petit pharmacien des grands chemins

Plantain lancéolé

Plantain lancéolé et fier de l’être apparemment

Le long des routes poudreuses, autrefois pratiquées par les pèlerins et les marchands de soie, pousse un compagnon timide, presque minuscule. Entre deux cailloux de grès ou alors épanoui en touffe lancéolée, le plantain est de ceux qui préfèrent se la jouer discrète. Il est le sherpa qui se dissimule sous l’imposante pile de bagages, le gentil serveur du café d’en face dont on ne se rappelle jamais le visage, ou alors l’ineffable bibliothécaire qui soigne en silence les incunables d’un rayon oublié.

C’est qui déjà?

Feuilles plates, fines, courtes, mais non, longues, cornues… eu…, fleurs longues, courtes, en toupet, enfin, tout est réuni  pour ne pas réussir à le décrire. C’est qu’il en existe plus de deux cents variétés différentes. Et pourtant lorsqu’on le voit, l’évidence saute au yeux, nous le reconnaissons sans hésitez. c’est celui que l’on regarde sans vraiment y penser, au pied de la clématite. Mais oui, le truc là, qui pousse entre deux cailloux.

Petit et costaud…

Notre ami, vous vous en doutez, est bien plus qu’une simple machine à photosynthèse. En prélude à son éloge, sachez qu’il tapissait nos panses bien avant les plus simples pitances. Il se mange cru ou cuit depuis belle lurette. Il a fallu un jour que ce salaud d’épinard lui vole la vedette, et depuis plus rien. Qu’avons nous fait pour le condamner à l’exil vers les friches arides et les entre-dalles de chantier?

Au jardin, obstinément, nous érigeons en as et portons en gloire le Calendula, la Camomille, le Soucis, le Millepertuis et bien d’autres encore, plantés en divins guérisseurs du potager des simples avec une fierté toute gonflée.  Le plantain lui est relégué au rang des troubles-tiges et grignote quelques centimètre carrés à l’ombre des élites florales. C’est une grave erreur que de l’abandonner, car qui donc est écrasé en premier entre les doigt pour en extraire un jus miraculeux qui va calmer les piqures d’insectes et les brûlures de tous poils? Mmm? C’est le plantain!

Toutes ses parties, en particulier les feuilles et les racines possèdent des vertus médicinales dont les plus connues sont un effet antiseptique et anti-inflammatoire. A l’époque des voyages à pied, il n’y avait qu’à se pencher et le cueillir pour manger autre chose que du pain sec et de l’eau de marre. On en fourrait au passage deux feuilles entre le pied et la chaussette pour voir disparaître cloques et douleurs d’effort, si si, je vous assure madame!

Patient et résistant!

Le plantain, en masse au bord des routes, tel le supporter bedonnant d’une course à vélo, attend toujours d’être choisi pour soulager les innombrables marcheurs dans le besoin. Mais de nos jours, il ne rencontre que quelques pneus de VTT et se courbe sous la semelle des randonneurs.  Ceux-ci, dopés aux barres hyper-protéinées, scrutent leur podomètre et calculent fiévreusement leurs performances sans jamais le voir!

Le plantain s’en moque vous savez? Il supporte notre dédain avec pragmatisme et attend patiemment des âges meilleurs, quand les hommes se rappelleront les services rendus aux bord des routes sinueuses.

Alors, au petit copain des pèlerins et au grand guérisseur des terres paumées, je dis chapeau bas!

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Petit mais costaud

L’intrépide Chénopode blanc

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Peu aimé et récalcitrant, pourtant…

Conquérant des friches et des terres caillouteuses, l’intrépide chénopode blanc s’installe en roi des champs. A l’aise dans tous les terrains, il est l’écharde dans la main du menuisier, le coin de table des orteils meurtris, la calvitie précoce de l’agriculteur.

Se plaît dans un palais

C’est que notre végétal reste campé sur ses acquis. Il y a quelques centaines d’années on le cultivait dans tous les jardins à titre d’épinard et de crudité. Riche en vitamines et minéraux il est excellent. On l’aperçoit de plus en plus sur les cartes des restaurants raffinés, accompagné d’aliments de marque parmi bien d’autres curiosités locales. A notre époque, cuisiner des herbes qui poussent sur les gravats revient à placer la cantine des ornières au rang d’orgasme culinaire. Tant mieux si d’ingénieux alchimistes du goût parviennent à redonner un peu d’or au blason des plantes mal aimées. Cela veut-dire après-tout que nous mettons constamment les pieds dans le plat.

Un empereur déchu…

Hélas, à ce jour le chénopode cumule les bévues et son impétuosité le place au premier rang des pires mauvaises herbes mondiales. C’est qu’un seul chénopode peut engendrer une armée de cent mille soldats entrainés à survivre sur tout type de terrains et prêts à résister aux pesticides les plus agressifs. La bataille est vaine, vous en conviendrez. Il faudra ruser pour déjouer le stratège et laisser tomber l’artillerie lourde pour tenter de vaincre le vert par le vert.

Au jardin il s’arrache sans pitié comme bien d’autres herbes malaimées et c’est dommage. Sans le savoir, nous délogeons une source alimentaire gratuite d’un côté tout en éclaircissant parcimonieusement nos épinards de l’autre, pour finalement les voir monter tout chétifs en graine.

Au roi des aires rudérales, je dédie cette fiche pour que, dans les livres d’histoire botanique imaginaire, perdure la légende d’un conquérant maudit.

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Tenace et nourrissant

 

Le vent et l’or du pin

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De gros nuages chevauchant le vent courraient au dessus des champs. Cette armée blanche panachée de gris était prête à lâcher une volée de gouttes sur la terre assoiffée. Vous l’aurez sans doute compris, il faisait chaud et le ciel annonçait un orage vengeur.

Sieste reportée…

J’étais allongé sous mon pin et contemplais les stratèges du zéphyr quand une bourrasque folle secoua la coiffe de l’arbre. Quelques pignes sèches tombèrent sur l’herbe croustillante en faisant des petits bruits de cure-dents brisés.

Je profitais de cette fraicheur soudaine lorsque qu’un bruit de chute molle retentit, suivi d’une méchante petite douleur à la cuisse. Dressé sur l’instant, hagard, je regardait autour de moi et vit l’objet du délit à quelques paumes de mon pied, un cône de pin tout vert et dense comme un caillou. Secoué par Eole et toute sa clique venteuse, il avait été arraché violemment à son arbre pour tomber comme une brique sur ma jambe. Je me levais rapidement car le vent commençait à montrer son ampleur orageuse. Quelques gouttes furtives parvinrent à mouiller mes lunettes tandis que je rentrais au sec.

L’or des dieux

Le lendemain, je me rendis sous l’arbre et, sur le champ de bataille, aperçu un amoncellement de pives sèches mêlées de quelques consoeurs toutes vertes et gorgées de sève. Je ne pu m’empêcher d’en ramasser quelques unes.

Au creux de mes mains, une poignée d’or vert, fruits poisseux du noble pin aux mille vertus. Quel parfum mes amis! J’en pris quelques-unes pour en faire un sirop délicat, véritable nectar des dieux de la pharmacopée millénaire humaine.

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Mettre les cônes verts dans du sucre, remuer fréquemment et au fil du temps se forme un sirop délicat

Le pin est l’ami de l’homme depuis la nuit des temps. On l’utilise pour son bois, la partie intérieure de l’écorce se mange tout comme les jeunes bourgeons forts prisés en orient. Ses aiguilles sont paraît-il,  en tisane, un remède efficace contre les affection des voies respiratoires. On en fait aussi de la laine pour coussin médicinal. Monsieur Kneipp préconisait des bains à base de bourgeons de pin pour soigner divers maux. L’huile essentielle de pin est encore très utilisée de nos jours.

La sève, elle, joue le plus beau rôle. Utilisée depuis des millénaires dans l’industrie, la pharmacopée et l’alimentation, elle se fait goudron Norvégien, poix, encens du pauvre, colophane des violonistes et autres vernisseurs parfait. Son distillat, la fameuse essence de térébenthine utilisée dans bien des domaines remplace l’ancienne térébenthine issue du pistachier térébinthe, plus difficile à produire. On l’utilisait en vernis pour les mâts bateaux, en poix pour calfater les coques ou pour recouvrir les maisons de bois. Les bergers enduisent encore les sabots de leurs bêtes avec un mélange de ce goudron végétal très prisé aux vertus fongicides.

Dans mon atelier, la colophane et l’essence de térébenthine trônent à côté de l’huile de lin et la gomme-laque, ingrédients essentiels à tout travail du bois.

Mon ami le pin, tu es l’ombre fraîche au parfum de plage ainsi que le gardien de mes nonnettes voilées, tu livres tes trésors lorsque chante le vent.

 

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Un trésor à lui seul